Recyclage Irriguer avec les eaux usées, c'est possible mais délicat
Réutiliser les eaux usées traitées pour arroser les cultures fait lentement son chemin. Le coût des infrastructures et des analyses, la question des micropolluants et l’acceptation sociale pourraient freiner les projets.
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Dans le contexte du changement climatique, la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) provenant des stations d’épuration est de plus en plus brandie comme une des solutions pour préserver les ressources. Le plan eau présenté le 30 mars 2023 par le président de la République Emmanuel Macron prévoit ainsi de passer à 10 % de REUT d’ici à 2030 contre moins de 1 % actuellement.
La France, où seules 35 installations concernent l’irrigation sur 62 au total, doit combler son retard par rapport à d’autres pays comme l’Israël, qui recycle environ 80 % de ses eaux usées, l’Italie (8 %) ou encore l’Espagne (14 %). « La REUT se heurte à des impératifs réglementaires et sanitaires, à des contraintes de coûts économiques et d’acceptation sociale. La développer nécessite des précautions selon l’usage pressenti », résumait le 11 avril 2023 le Conseil économique, social et environnemental lors de la présentation de son avis sur la gestion durable de l’eau.
Alléger les procédures
Pour encourager cette pratique, le gouvernement entend lever les freins réglementaires et alléger les procédures administratives. Les projets sont en effet très encadrés, au niveau français et bientôt européen.
Le nouveau texte européen inquiète d’ailleurs Eric Frétillère, président d’Irrigants de France, considérant que les normes européennes vont mettre en péril les futurs projets et ceux déjà existants.
Il se veut toutefois positif : « La REUT ne représente pas des volumes extraordinaires car cela reste la majorité du temps à proximité de villes, mais partout là où c’est exploitable, il faut le faire. »
D’autres sont plus prudents et pointent le risque sur l’assèchement des rivières puisque les eaux de station d’épuration sont habituellement rejetées dans le milieu naturel.
Pression et débit
Les producteurs de pommes de terre de Noirmoutier font figure de pionniers de la REUT à des fins d’irrigation, il y a déjà quarante ans. L’île ne dispose en effet d’aucun captage d’eau douce.
Autres précurseurs : les 50 irrigants de l’Asa de la Limagne noire qui utilisent des eaux usées traitées depuis 25 ans. Elles cheminent auparavant sur des bassins de lagunage pour faciliter leur traitement UV par le soleil et obtenir une meilleure qualité bactériologique. Des analyses hebdomadaires sont réalisées. Les irrigants récupèrent un peu plus d’un tiers de l’eau de la station d’épuration, entre le 1er avril et le 30 septembre, en fonction des besoins. Le réseau a été calibré pour un débit permettant d’alimenter près de 750 ha.
« Les stations d’épuration les plus importantes se situent plutôt en ville, alors que dans les communes rurales, où se situent une grande partie des stations, le débit de sortie est très faible », Emmanuel Ferrand, maire de Saint-Pourçain-sur-Sioule
La question du débit est un des problèmes pointés par Emmanuel Ferrand, agriculteur et maire de Saint-Pourçain-sur-Sioule (Allier). La commune possède une station d’épuration dont le débit est en moyenne de 45 m³/h, mais avec de fortes fluctuations. « Il y a un antagoniste pour la REUT en milieu agricole, juge-t-il. Les stations d’épuration les plus importantes se situent plutôt en ville, alors que dans les communes rurales, où se situent une grande partie des stations, le débit de sortie est très faible, moins de 10 m³/h. » Or pour irriguer, il faut une pression et un débit conséquents. Ou il faut utiliser du goutte à goutte, une technique qui fonctionne bien sur sols argileux, moins en sols superficiels, et pas pour toutes les productions. Ou encore imaginer des systèmes de stockage « tampon » comme en Limagne.
Risque des micropolluants
Les risques associés à la REUT sont aussi beaucoup liés à la qualité de l’eau utilisée pour irriguer, qui peut être variable.
La plupart des eaux en sortie de station d’épuration sont aux normes concernant l’azote et le phosphore en particulier.
Pour les micropolluants, c’est une autre histoire. « Quand on ne cherche pas, on ne trouve rien », avance Emmanuel Ferrand. Il fait de son côté réaliser des analyses de matières actives phytos et médicamenteuses. Et le constat est sans appel : des résidus médicamentaux sont encore détectés en sortie de station (carbamazepine et hydrochlorothiazide par exemple) ainsi que des œstrogènes, des composés chimiques (lessives, nettoyants industriels). Ou encore des phytos comme du glyphosate et de l’Ampa, qui est issu de sa dégradation mais aussi de celle des phosphonates des lessives.
Un traitement tertiaire (ozone + filtre à charbon actif, membranes ou UV) peut permettre de rendre les eaux usées à un niveau d’eau potable.
Mais tout cela a un coût, entre 50 et 1 €/m³, selon le débit. « Réutiliser les eaux usées oui, mais à condition d’accepter de payer un traitement tertiaire pour se débarrasser des micropolluants », résume Emmanuel Ferrand.
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